Almouten 24 – Chouaib Sahnoun.
Le gouvernement réfléchit aux mécanismes de transformation du Ramed en un régime assurantiel dans le cadre de l’AMO. Aucune décision n’est encore prise car la problématique est complexe.
Depuis l’annonce de l’intention de l’Etat d’intégrer le Régime d’assistance médicale des économiquement démunis (Ramed) dans l’Assurance maladie obligatoire (AMO), faite par Mohamed Benchaâboun en septembre dernier, aucune information ne filtre sur le sujet.
Dans le cadre de la généralisation de la couverture sociale, le gouvernement projette en effet de généraliser l’AMO. Ce régime couvre actuellement 7 millions de personnes dans le privé (CNSS) et 3 millions dans le public (CNOPS). Si à ces populations on ajoute les travailleurs indépendants et les 11 millions de Ramédistes, pratiquement 95% de la population marocaine sera couverte par une assurance maladie.
Le processus pour les travailleurs indépendants est en cours. Celui de la transformation du Ramed en est encore à ses balbutiements.
Les sources officielles s’abstiennent de parler de ce projet, mais nous savons de sources sûres que la réflexion est en cours.
Des réunions sont programmées entre les différentes parties prenantes pour affiner la stratégie de transformation du Ramed en assurance maladie obligatoire pour les populations vulnérables.
Il est vrai qu’aucune décision n’a été arrêtée pour le moment, mais certaines pistes de réflexion sont sur la table des discussions. Ces pistes ont trait à plusieurs facteurs déterminants pour la pérennité du futur régime ; à savoir l’organisme gestionnaire, les bénéficiaires, le panier de soins et le financement.
Tous égaux devant l’AMO ?
Pour le premier point et sauf surprise de dernière minute, c’est bien la CNSS qui gérera ce nouveau régime.
Pour les autres points, c’est plus complexe de trancher les mécanismes à mettre en place, tant l’assise sur laquelle doit se baser ce nouveau régime est fragile.
“Au Maroc, nous avons un régime transversal qui est l’AMO dans lequel il y a des catégories, des modalités et des comportements différents. Donc la première phase sera l’harmonisation”, explique un expert en assurance.
Selon cet expert, cette harmonisation touchera d’abord le panier de soins au regard des orientations du Roi Mohammed VI pour la généralisation de la couverture sociale et de l’équité dans l’accès aux soins.
“Quand Sa Majesté le Roi parle de l’équité dans l’accès aux soins, cela suppose que tous les Marocains accèdent au même panier de soins. Dans cette même logique, nous ne devrions plus avoir un panier de soins dans les hôpitaux publics réservé aux Ramédistes et un autre panier de soins pour les assurés de l’AMO”, avance l’expert.
Le panier de soins sera un grand sujet à débattre. Les bénéficiaires du Ramed se soignent exclusivement dans les hôpitaux publics. Les faire basculer vers l’AMO, dans le respect des orientations royales, suppose de leur permettre d’accéder aux soins dans le privé. Mais cela n’est pas sans risque sur le régime.
“Il faut savoir que les bénéficiaires du Ramed sont une population qui a une sinistralité élevée. Ils ont des habitudes de consommation médicale différentes des autres bénéficiaires du régime AMO”, avertit-il.
“Si le taux de sinistralité de l’AMO gérée par la CNSS est de 20% et que ce taux a frôlé les 50% à la CNOPS, avec les Ramédistes, la sinistralité pourrait être plus élevée que 50%. Donc c’est une population à risque financier pour la CNSS”, insiste la source.
Un effort des prestataires de soins est attendu
Se pose alors la question, comment instaurer une équité dans les soins, tout en assurant la pérennité du régime naissant et les autres régimes AMO ?
Selon le même expert, ce n’est pas impossible, mais il faut bien paramétrer l’équation financement-consommation-facturation-remboursement. “Si on reste dans la logique du même panier de soins pour tous, il y a des mécanismes nouveaux à mettre en place, il y a un effort et des concessions à faire de la part des prestataires de soins ; et ce sont des mécanismes de financement qui diffèrent d’un régime purement assurantiel”, analyse le professionnel.
“On peut envisager l’idée d’avoir une tarification nationale spécifique aux populations vulnérables”, nous explique-t-il.
Le régime AMO se base sur un système de financement par cotisation des assurés, une consommation médicale facturée et un remboursement des assurés sur la base d’une tarification nationale de référence décidée d’un commun accord entre les organismes gestionnaires de l’AMO et les prestataires de soins.
Selon lui, on peut imaginer la mise en place d’une tarification spécifique dédiée à cette catégorie de vulnérables, en commun accord avec les prestataires de soins qui dans un élan citoyen feront un effort en matière de tarifs pour servir cette population qui se chiffre actuellement en millions de personnes sans que cette concession sur le tarif ne touche à la qualité des soins.
“Le bénéficiaire de l’AMO appartenant aux populations vulnérables sera servi comme tous les autres assurés du régime AMO ; mais les paramètres du financement des prestations qu’il consomme seront spécifiques”, avance-t-il.
Cette piste a déjà été évoquée à maintes reprises par les représentants des prestataires privés. Ils ont déjà émis l’idée de faire un effort citoyen pour gérer cette population.
D’ailleurs des discussions ont déjà eu lieu dans le cadre du RAMED entre l’Association Nationale des Cliniques Privées (ANCP) et le ministère de la Santé en 2018 pour ouvrir les cliniques privées aux Ramédistes.
“Il s’agit d’une proposition de l’ANCP, pour permettre aux bénéficiaires du Ramed d’accéder aux services du privé, dans le cadre du renforcement de la collaboration entre les secteurs privé et public”, expliquait à l’époque Redouane Semlali, président de l’ANCP. “Cette initiative vise à contribuer à surmonter le manque en ressources humaines dans le secteur public et éviter la surcharge, les longs délais de prise de rendez-vous et les défaillances techniques”, ajoute la même source.
Un assainissement de la base de données est primordial
Pour aider dans ce sens, l’expert assure qu’il y a aussi un important travail à faire en matière d’assainissement de la base de données des Ramédistes.
En effet, l’un des principaux problèmes de ce régime c’est que son accès n’est pas verrouillé. Plusieurs personnes disposent de cartes Ramed sans pour autant remplir les conditions d’éligibilité. Le régime enregistrait aussi des doubles immatriculations Ramed/CNSS ou Ramed/CNOPS.
L’assainissement est une solution a posteriori. Pour le futur régime, il faut surtout en verrouiller l’accès avec des conditions d’éligibilité claires et plus rigoureusement appliquées. Dans ce sens, on peut avancer sans se tromper que le futur registre social unique (RSU) dont la première version est attendue d’ici fin 2022 jouera un rôle important.
“Le RSU est un filtre important. Il sera déterminant pour la fiabilité des bénéficiaires”, assure notre source.
Une fois ce travail fait, une partie de la population des ramédistes non éligible à ce régime basculera dans l’AMO. Le reste de la population, qui est éligible, bénéficiera du nouveau régime.
“Le RSU permettra de filtrer la population bénéficiaire, de faire le suivi dans la mesure où c’est une base de données évolutive”, ajoute notre expert.
Le financement, un nœud gordien ?
Reste à savoir qui assumera le financement de ce nouveau régime. Cette catégorie de personnes sera-t-elle appelée à
cotiser ? Comment l’obliger à le faire, car c’est bien d’une obligation qu’il s’agit, puisque nous sommes en présence d’une assurance maladie obligatoire ?
L’Etat semble s’acheminer vers un système hybride : un régime assurantiel avec une logique subventionnelle.
Cela suppose que l’Etat assumera en totalité ou en partie les cotisations de cette population.
L’Etat supporte déjà des charges par rapport au Ramed. Cette enveloppe pourrait être transférée vers le nouveau régime.
Il y aussi la contribution de solidarité instaurée par la loi de finances 2021. Par cette mesure, l’Etat compte récolter 5 milliards de dirhams de recettes, qu’il a l’intention d’orienter vers le financement de l’élargissement de la protection sociale aux travailleurs de l’informel.
Mais ce point reste le plus compliqué à ficeler car le système de financement devra assurer la pérennité du système. Si le gouvernement maintient le caractère subventionnel, c’est une charge pour le budget de l’Etat qu’il faut assumer tout au long de la vie du régime.
“Il est très difficile de juger ou d’anticiper le comportement d’un régime après son installation. Ce qui est essentiel à ce stade de réflexion est de mettre en place des mécanismes de financement qui soient bien maitrisés, avec en face des mécanismes de facturation pour justifier la dépense”, avance l’expert.
“Quoi qu’il en soit, la réflexion part sur trois bases solides. D’abord l’organisme qui va abriter le régime, la CNSS, a une bonne expérience dans la gestion de l’AMO. Ensuite, il y a un engagement politique de l’Etat à travers le financement. Enfin, nous aurons une population qui sera de plus en plus maitrisée grâce au RSU”, conclut-il.